vendredi 7 décembre 2012

Géographie de Tesson




J'ai définitivement chu dans l'œuvre de Sylvain Tesson après que, par le plus grand des hasards, j'ai littéralement dévoré son Petit traité sur l'immensité du monde (2005). J'ai donc très vite sauté la tête la première dans le reste de l'œuvre du monsieur, c'est-à-dire dans des livres comme La chevauchée des steppes (2001) l'histoire somptueuse d'un périple de 3000 km à cheval en compagnie de la belle Priscilla Telmon, L'Axe du loup (2004), où Tesson marche dans les pas des évadés du goulag, et son Éloge de l'énergie vagabonde (2007) qui l'a conduit à suivre les méandres tracés par les pipeline où coule l'or noir. Enfin, plus récemment, le monsieur a décidé de s'isoler six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal et il en est revenu avec un livre en forme de journal intime, aux accents de Walden et de Feuilles d'herbe : Dans les forêts de Sibérie (2011). Avec Géographie de l'instant, notre homme a accepté de réunir sous le même titre un assortiment de textes publiés dans divers revues et journaux. Dans ce livre, on fait connaissance avec l'homme qui se cache derrière le personnage de l'écrivain-voyageur. Et comme chacun d'entre nous, ce garçon se révèle plein de contradictions. On y croise tour à tour le Tesson écologiste, le Tesson critique politique, le Tesson mystique, mais surtout, et c'est le plus intéressant, le Tesson amoureux de l'écriture.

Tesson est avant tout un spectateur émerveillé du monde, et plus précisément d'une nature qu'il parcours maintenant depuis un bout de temps. Avec ses notes, l'auteur dévoile une profonde inquiétude devant les ravages que les hommes infligent à l'environnement. A force de voyager, de lire et de discuter avec des naturalistes, Tesson en est arrivé à dresser le constat déstabilisant de la disparition de nombreuses espèces et biotopes. Il ne cache pas la colère qu'il ressent devant l'inconséquence navrante des rapports de l'humanité avec son environnement. Néanmoins, on remarquera que l'écologisme colérique de Tesson ne l'empêche pas d'écrire pour le magazine d'Air France, dont les avions ne semblent pas lui poser tant de problèmes que ça.

En tant que géographe de formation, Tesson est au fait du dessous des cartes. Qui plus est, il a parcouru des pays en guerre et il y a même vu mourir sous ses yeux certains de ses amis. Il a donc quelques idées à propos de la politique. Les années passant on le lit de plus en plus navré, tant lorsqu'il s'agit de la politique nationale que de la scène internationale. Le citoyen Sylvain se montre par exemple particulièrement sensible aux progrès qu'il reste à accomplir sur la question de la condition des femmes. Il aurait certainement des choses à raconter aux défenseurs de la liberté de se prostituer en paix, lui qui a vu à quoi ressemble la réalité crue de la prostitution dans des endroits où sa misère est moins bien dissimulée que sous nos latitudes. Et de fait, on le surprend à militer pour ceci ou pour cela, lui qui n'est pourtant pas tendre avec les opposants de tous poils et le militantisme vulgaire. Le lecteur remarquera néanmoins que des notes les plus récentes suinte un bon vieux pessimisme. Tesson déclare qu'à la suite de Chamfort, il s'efforce d'allier le pessimisme de la pensée à l'optimisme de l'action. Tu parles Charles ! On cherchera en vain l'optimisme dans les magnifiques surgissements malthusiens où il se laisse aller lorsqu'il met en relation un taux de natalité galopant et une disponibilité des ressources de base en chute libre ou bien lorsqu'il condamne l'élimination quasi-systématique de la diversité animale et végétale partout où l'homme s'installe.

L'icône qui lui tenait compagnie dans sa cabane sibérienne

Sylvain Tesson entretient, me semble-t-il, un rapport ambiguë avec le sentiment religieux. D'un coté, il n'a pas de mots assez durs pour fustiger l'islam. Selon lui, cette religion n'est qu'une occasion de plus qu'on trouvé certains hommes d'opprimer leur prochain. Il est particulièrement remonté contre de la condition que les sociétés islamiques réservent à leurs éléments féminins. Pourtant, ce coquin de Tesson dévoile aussi une sensibilité qui tire du coté du mysticisme. Il est par exemple admiratif quand il rapporte les relations harmonieuses que les grands mystiques entretenaient avec mère nature. C'est ce qui me pousse à penser que Sylvain Tesson est avant tout un païen nostalgique. D'ailleurs, lors d'une rencontre, je lui avais demandé ce qui l'a poussé, lui qui est si critique vis-à-vis du fait religieux, à emmener des icônes dans sa cabane de Sibérie. Un peu embarrassé, il m'avait répondu qu'il entendait avant tout respecter l'esprit du lieu, et puis le principe de l'icône lui plaît parce qu'on ne suppose pas que l'objet représente ce qui est en haut (c'est ce qui l'oppose à idole), mais au contraire on pense qu'un peu du principe divin consent à descendre au sein de l'icône. Cette réconciliation profonde entre le sensible et le spirituel semble réjouir Tesson au plus haut point car cela s'accorde avec le rapport qu'il entretient avec la nature.

Ce qui apporte le plus de plaisir dans ce livre, c'est surtout de retrouver l'écrivain Sylvain Tesson, l'éternel amoureux des livres et de l'écriture. Il avoue lui-même qu'aussi loin qu'il se souvienne, il a toujours écrit. Il tient en effet un journal intime depuis sa prime jeunesse et il a en permanence sur lui un petit carnet qu'il recouvre de notes avec jubilation. Comme tout écrivain digne de ce nom, Tesson a su développé un véritable art de l'observation. Il sait comme peu d'écrivains retranscrire la jouissance qu'il y a à apercevoir en soi la conjonction d'un fragment du passé avec une sensation du présent et la singulière sortie du temps qui en résulte. Cependant, il reconnaît lui-même que cela s'accompagne d'une manie dangereuse : le recours permanent à l'art de la formule. Oui, le père Tesson a l'aphorisme leste et il doit se restreindre pour ne pas glisser ses maximes partout et tout le temps. Le lecteur pourra juger si l'auteur y parvient vraiment  dans les textes réunis au sein de Géographie de l'instant. Enfin, n'oublions pas de mentionner que Tesson est un lecteur vorace et qu'il sait diablement bien parler de ce qu'il lit. Ainsi, explique-t-il que lorsqu'il voyage, il aime emporter avec lui des livres décrivant des contrées en tous points opposées à celles où il se rend : des épopées sahariennes l'accompagnent donc dans ses périples sibériens et les confidence des explorateurs des pôles lui tiennent compagnie dans ses virées en terre tropicale. Néanmoins, qu'il soit en train de gravir les pentes escarpées de quelque montagne (c'est un grimpeur compulsif), qu'il chemine dans le désert de Gobi jusqu'à s'écrouler de fatigue ou qu'il converse dans un salon parisien, c'est avant tout avec son imagination qu'il voyage et elle est finalement sa plus fidèle compagne.

Tesson l'écrivain : la partie la plus intéressante du personnage
Ce livre doit se lire comme un paquet de friandises. Le dévorer brutalement serait douloureux et nous dégoûterait à jamais du bonhomme. En revanche, le déguster par bouchées permet de le digérer avec légèreté et de ne pas être ensevelie sous contradictions de l'auteur accablé par son nihilisme optimiste ou bien agacé par son moralisme immoraliste. On n'en goûtera que mieux les quelques pépites et on assimilera avec jubilation les nombreuses références qu'il sème derrière lui. Surtout, je défie quiconque de lire ce livre sans ressentir un irrépressible désir d'écrire. Une fois refermé cette Géographie de l'instant, il ne nous reste plus qu'à surmonter la velléité de l'écrivain dont parlait Barthes, et d'éprouver à notre tour cette fameuse félicité qu'on atteint lorsqu'on se met soi-même à écrire.


Sylvain Tesson, Géographie de l'instant, Éditions des Équateurs, 2012

3 commentaires:

  1. Décidément, il est temps que je m'y mette ...

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  2. Excellent livre en effet, à déguster par petites tranches, je confirme.

    PS : Tu as un espèce de problème de taille de caractères.

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    1. Oui, je n'ai pas encore bien en main l'aspect technique de la chose...

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