lundi 31 décembre 2012

Que faire ?




C'est avec un étonnement teinté de joie que j'avais grignoté le Manuel de survie en territoire zombie (2009) de Max Brooks. Depuis, j'ai constamment tourné autours de World War Z sans jamais m'y plonger. Lorsque j'ai entamé une série de lectures « post-apocalyptiques » (que je n'ai d'ailleurs pas encore achevé tant le plaisir est grand à se faire peur), l'occasion s'est présentée de franchir le pas qui me séparait de ce livre dont la plupart de mes amis m'avaient fait l'éloge.

La singularité de la forme des œuvres que Brooks consacre au thème de l'épidémie zombie, j'ai d'abord eu envie d'en savoir un peu plus sur l'auteur. Max Brooks est le fils du grand Mel Brooks (ce qui n'est pas rien pour le fan de Frankestein junior que je suis). Autant dire que le capital de folie géniale doit donc être important chez ce monsieur. D'ailleurs, on peut trouver un indice de son génie lorsqu'on constate que c'est un véritable touche à tout qui a aussi bien fait partie de l'équipe créative de l'émission comique américaine Saturday Night Live que prêté sa voix à des personnages de dessins animés (Batman, Justice League, etc). On a donc affaire à un personnage atypique.

On en reçoit l'agréable confirmation lorsqu'on entre dans World War Z. La situation est très simple : une épidémie qui a transformé la majeure partie de l'humanité en morts-vivants a bien failli rayer par la même occasion notre gentille espèce de la surface du globe. Néanmoins, après une guerre atroce, les survivants reprennent plus ou moins le dessus sur le phénomène zombie et s'efforce de rebâtir le monde. Jusque-là rien de bien palpitant diront certains. Détrompez-vous bande de vilains sceptiques ! Ce qui fait la force de ce bouquin, c'est moins les évènements qui y sont contés que la forme du récit. Car en vérité, on a très vite le sentiment d'assister à la projection d'un documentaire. Brooks se cache en effet derrière la figure d'un journaliste mandaté par l'ONU qui profite de sa mission pour sauvegarder les témoignages de toutes sortes de survivants. Des voix s'élèvent et proposent donc leurs propres variantes de l'universel « comment je ferais si j'y étais ? » ou du plus général « que puis-je faire ? ».

Les interviews sont présentées au long de six grands mouvements qui représentent chacune des étapes par lesquelles passe l'espèce humaine dans ses rapport avec sa partie contaminée par le virus dont on ne saura à peu près rien si ce n'est que des gens meurent, que la plupart d'entre eux se relèvent avec pour projet de faire bombance de la chair des vivants.

D'abord, on apprend comment l'épidémie se répand joyeusement grâce aux merveilles de la mondialisation. Le réseau de transport mondial est une bénédiction pour la dispersion des contaminés, de même que les réseaux d'immigration clandestine et la capacité du virus à se montrer nomade ferait certainement frémir d'admiration un apologiste du mouvement perpétuel et du déracinement tel que Jacques Attali.

Paradoxalement, si les structures de la mondialisation facilitent la diffusion de l'épidémie, elles paralysent complètement les facultés de réaction des gouvernements qui, en dépit des alertes et de quelques tentatives de passage à l'action, décident d'ignorer ce qui se passe. Évidemment, il se trouve au milieu de tout ce capharnaüm des spécimens particulièrement malins d'homo economicus pour répondre aux stimulations de leurs intérêts bien compris et pour surfer sur les angoisses naissantes de la population. Étouffés par des tendances hygiénistes virant au pathologique, désorientés par la désinformation et rongés par la malédiction de l'habitude, les gens ordinaires se font finalement surprendre par l'horreur de l'épidémie lorsque ce bon vieux principe de réalité se rappelle à eux.

Dès lors, c'est la Grande Panique. Toutes les constructions civilisationnelles fondent comme neige au soleil et c'est le retour express à une situation pré-sociale où chacun s'efforce de lutter pour sa survie en fuyant vers ce qu'il s'imagine être le plus loin possible de la nouvelle plaie qui s'abat sur le monde. Les États tentent tant bien que mal de persévérer dans leur être même si cela les contraint à adopter des pratiques néo-totalitaires. Les stratégies habituelles sont inopérantes face à un ennemis qui n'éprouve aucun sentiment et dont les légions sont issues de ceux qui meurent au combat. Seuls les esprits les plus pragmatiques et les plus froids sont en mesure de concevoir les solutions nécessaires à la sauvegarde de l'humanité. Néanmoins, les sacrifices que cela supposent ne sont pas du goût de ceux qui veulent « rester humains ». Ces mêmes humanistes, en refusant de mettre en pratique les plans de ceux qui ont su faire usage de leur raison, sont inéluctablement conduits à se comporter de la pire des manière vis-à-vis des populations civile (frappes préventives sur les réfugiés, tout ça...).

Revenu des joies du libéralisme économique qui se révèle complètement obsolète en situation de crise globale, les gouvernements adoptent rapidement des organisations de type collectiviste. Naturellement, les relations de pouvoirs sont bouleversées et la géopolitique mondiale s'en trouve radicalement modifiée. L'énergie redevient une question primordiale car qui en dispose possède aussi un pouvoir considérable (ou, lorsqu'il s'agit d'intérêts particuliers, d'une des ressources les plus demandées et par conséquent d'une richesse presque illimitée). Tout ceci modifie radicalement le mode de vie de la population survivante et la répartition du travail. Ce changement n'est pas du goût de tous et certains craquent nerveusement sous la pression. Apparaissent donc les créatures étranges que les survivants appellent les quislings (je laisse à ceux qui n'ont pas encore lu le livre le plaisir de découvrir de quoi il s'agit exactement). Tout ceci s'accompagne de productions cinématographiques aptes à mobiliser le corps social de manière adéquate à la nouvelle situation et, surtout, de limiter les effets psychologiques pervers de la crise. De quoi penser autrement ce que l'on appelle aujourd'hui l'industrie cinématographique.

Face à la menace, les êtres humains sont forcés d'adopter de nouveaux « devenir ». Par exemple, il leur faut découvrir de nouvelle manière d'habiter des lieux inhabituels (tâche à laquelle certains s'essaieront avec succès dans le cas des châteaux forts et où d'autres échoueront dans le cas des souterrains parisiens). Même le langage connait de nouveaux usages. D'autre part, l'imagination s'avère être autant une source de force qu'une grave faiblesse puisque c'est elle qui sécrète l'espoir et qui donne donc la force de survivre, mais c'est elle aussi qui pousse à risquer le pire en vue d'un salut incertain. L'aventure sur les mers illustre ce double aspect de l'imagination humaine. Les survivants croient y trouver le salut et y découvre des dangers pires que les horreurs qui les poursuivaient à terre. Néanmoins, c'est aussi l'espoir tenace de retrouver sa suprématie déterminera l'humanité à entreprendre une Reconquista. Ah, l'espoir.

Au final, on peut dire que le roman s'avère décoiffant non seulement par rapport à la profondeur des problèmes qu'il propose à ses lecteurs d'aborder, mais aussi (et surtout) grâce à la forme inédite adoptée par Brooks pour développer son récit. L'immersion est presque totale et les questionnements qui naissent au fur et à mesure de la lecture n'en sont que plus intéressants puisqu'ils arrivent à toucher des thèmes au fond très actuels. Autre qualité : l'auteur ne se perd pas dans le récit gnangnan d'insignifiantes trajectoires individuelles ni dans un misérabilisme pourtant à la mode ces derniers temps. Au contraire, il propose un point de vue global et sans concession. Pour dire à quel point Brooks s'efforce de garder de la hauteur on ne peut que songer à ce passage consacré à la situation des astronautes restés en orbite le temps que de l'épidémie. World War Z est donc une œuvre majeure aux multiples facettes et c'est l'occasion de se pencher sur des problèmes d'une actualité plus que troublante.

Max Brooks, World War Z, Calmann-Lévy, 2009.

Ils en parlent aussi chez eux : GromovarHugin et MuninEfelle

1 commentaire:

  1. Superbe livre et superbe analyse.

    En cas d'invasion zombie (ou de pandémie grippale grave), ce qui paralysera l'action, c'est les palabres et les garanties de droits. Rappelons-nous de Munich.

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