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Résistons à l'assourdissant discours des privilégiés ! |
En ce moment, il m'arrive de
croiser ici et là des gens qui se décrivent eux-mêmes comme des
féministes. Souvent, en les lisant ou en les écoutant, ma
taquinerie reprend le dessus et je ne peux m'empêcher de pointer du
doigt les nombreux problèmes que pose leur idéologie. Or,
malheureux que je suis, j'avais oublié que je suis un mâle.
Monumentale erreur ! Amis hommes, sachez donc que quoi que vous
disiez, vous avez tort par avance. Ou, tout du moins, vôtre parole
ne vaut pas grand chose. Pourquoi ? Mais voyons, parce que vous
n'êtes que des privilégiés.
Le raisonnement (ou plutôt
le mantra) est le suivant : nous vivons dans une société
patriarcale où les hommes oppriment systématiquement les femmes,
les hommes sont donc en position privilégiée partout et tout le
temps au sein de la société. Or les hommes ne sont globalement pas
conscients de leurs privilèges. Il faut donc leur expliquer qu'en
raison de leur position, ils ne peuvent pas aborder certains thèmes,
car les malheureux sont définitivement aveugles à l'oppression qui
s'exerce à travers eux et qui structure forcément leur discours.
Ainsi, au cours d'une
conversation, votre interlocutrice vous lancera-t-elle tôt ou tard
que votre propos est extrêmement violent après que vous lui ayez
dit que traiter son interlocuteur de dominant et d'ignorant chaque
fois qu'on s'adresse à lui a quelque chose d'extrêmement facile et
surtout de profondément réductionniste. Si vous n'acceptez pas de
penser et de parler à partir des catégories féministes, c'est que
vous êtes nécessairement un affreux masculiniste fière de ses
privilèges et ignorant des vérités découvertes par la théorie
féministe.
Or, c'est peut-être certains
postulats de cette théorie qui posent problème. Par exemple,
prendre pour prétexte la représentation que le féminisme donne des
hommes pour ne pas avoir à discuter les objections d'un
interlocuteur particulier est un raisonnement fallacieux. Je me
représente mon interlocuteur comme occupant une place de privilégié
au sein de la société (c'est un homme blanc et occidental, il a
donc droit à certains privilèges au sein de la société, à des
facilité d'accès desquelles d'autres catégories de citoyens sont
privés), je peux donc en conclure que ses raisonnements sont biaisés
et qu'ils confirment justement le fait qu'il est un privilégié. Il
s'agit d'un magnifique argument circulaire. Notre interlocuteur est
un privilégié et il tient donc ce discours, et s'il tient ce
discours, c'est bien qu'il est privilégié. CQFD...
Certes, un certain nombre de
mâles se trouvent être des demeurés qui ne voient dans une femme
qu'un objet de désirs sexuels. Pour autant, est-ce que cela suffit à
en déduire que si je parle à un homme, alors il s'agit
nécessairement d'un de ces demeurés ? Dois-je en conclure que s'il
existe incontestablement une représentation discutable des femmes et
de leur place dans la société chez certains hommes et qu'il existe
encore certains traitement inéquitables vis-à-vis des femmes, alors
tous les hommes doivent être envisagés comme responsables et
participants de cet état de chose ? Il s'agirait sans doute d'une
déduction erronée puisque cela reviendrait à prétendre que les
caractéristiques et les convictions de certains membres d'un groupe
donné caractérisent tous les membres de ce groupe. On sait que les
choses sont beaucoup plus subtiles que ça.
Autre problème : d'une
certaine violence exercée contre certaines femmes, on déduit non
seulement que la société entière justifient ces violences, mais
aussi qu'elle les encourage. Dès lors, on en vient à passer
directement d'un constat de ce qui est (il existe des violences) à
ce qui doit être (les hommes ne doivent plus pouvoir discuter de
certaines questions car ils participent plus ou moins volontairement
à perpétuer les conditions favorables à la violence) sans vraiment
fournir d'autre explications que l'argument de l'évidence et la
logique du martyr (« je souffre donc j'ai raison ! »).
Ainsi voit-on aujourd'hui fleurir dans la sphère féministe toute
sorte de généralisations abusives comme la culture du viol
(« Certaines femmes ont été victimes de violences sexuelles,
or les coupables semblent avoir été excusés et leur crime
justifié, une culture du viol sévit donc dans nos sociétés »)
et d'autres concepts qui commettent l'erreur grossière de
présupposer les causes en se basant entièrement sur une certaine
représentation des effets. Cependant, on peut comprendre que la
déploration est une posture confortable puisqu'elle consiste
seulement à maudire des effets, mais jamais à s'en prendre aux
causes (structurelles et socio-économiques) et à leurs fondements
philosophiques (une certaine idée de la liberté, de la société et
de l'individu).
Au fond, on trouve dans le
féminisme radical tel qu'il se développe actuellement certains
traits fort problématiques. Il y a d'abord cette sorte de désir de
pouvoir contrôler les comportements d'autrui. Derrière ce désir,
il y a un incapacité caractérisée à accepter qu'il y a du donné
en ce monde, c'est-à-dire des choses qui échappe au pouvoir de la
volonté individuelle. La sottise et l'arriération de certains
individus en fait partie. Et ça n'est pas en radicalisant son propos
et en refusant la discutions que ces individus disparaîtront pour
autant. Ce genre de comportement ne se changent pas sur un libre
décret de la volonté, surtout lorsque cette volonté ne consiste
qu'en un moralisme mal dissimulé. Si les mœurs de certains mâles
sont objectivement nuisibles, ça n'est pas en appelant à la
responsabilité individuelle ou à la pénitence des dits individus
que quoi que ce soit changera. On aura fait que démontrer que le
discours féministe n'est qu'un prétexte pour exprimer un
ressentiment tenace, une passion vengeresse et un puissant désir de
punition.
Se construire en « opposition
à... » est de toute façon contestable en soi. Il s'agit d'une
démarche que Philippe Muray avait déjà très bien décrit :
« Il existait des formules, autrefois, pour désigner les
vertueux de profession : pharisiens, sépulcres blanchis. Le
pharisaïsme consiste à tenir le mal en si haute estime que l'on
consacrera tout son temps, ses jours, ses nuits, son énergie à
lutter contre lui dans un corps à corps fasciné, fervent ».
Le féminisme radical et ses nombreuses prétentions normatives
constituent le pharisaïsme des temps modernes.