mardi 29 janvier 2013

Mariage des homosexuels : acquiescer n'est pas penser.

Le 28 janvier, Michel Onfray publiait un article enflammé sur le site du Nouvel Observateur. Le titre de son texte donnait le ton, ou plutôt, il le clamait : « Mariage des homosexuels : sodomites de tous les pays, unissons-nous ! ».



On dit Onfray philosophe. De fait, il semble désireux de jouer ce rôle honorable puisqu'il introduit son propos par une classique tentative de précision des termes du problème. Il remarque à juste titre qu'au sein de la guerre que se livrent pro et anti-mariage homosexuel, les insultes fusent et finissent par dévaloriser les termes mêmes dont elles se nourrissent. A force de tirer à coup « d'homophobe » sur tous ceux qui osent avouer leurs doutes sur le mariage homosexuel, on aurait oublié, selon Onfray, la signification véritable de cette insulte.



C'est pourquoi, il propose de se servir de la définition qu'en donne le linguiste et lexicographe Alain Rey dans son Dictionnaire culturel en langue française : « qui craint et déteste les homosexuels, l’homosexualité ». Dès lors, Onfray en conclut que quiconque est réfractaire à l'ouverture du mariage aux homosexuels peut être dit à juste titre homophobe puisque cela suppose une crainte et, inconsciemment ou non, une détestation envers les individus en question.



Or, cet argument nous semble mal fondé. En effet, on est en droit de trouver suspecte l'attitude qui consiste à renvoyer tous ceux qui refusent l'ouverture du mariage aux homosexuels du coté de la psychiatrie. Car c'est ce qu'est la phobie dont on les accuse : un usage du vocabulaire de la psychopathologie. L'individu phobique se caractérise par l'aversion très vive ou irraisonnée qu'il éprouve devant le même objet, la même personne ou une situation bien déterminée. Il n'y a donc pas de capacité de réflexion dans la phobie puisque la faculté de raisonnement y est abolie. Ainsi, tout individu homophobe devrait être incapable d'argumenter et de construire un raisonnement pour expliquer ce qu'il pense. Pourtant, de nombreux opposants réussissent à proposer des raisonnement calmes et posés, des raisonnements qui méritent d'être examinés et entendus. On peut donc légitimement douter de la justesse de l'utilisation qui est faite dans l'article du terme « homophobe ». Cependant, en se servant du prétexte de la lutte pour la tolérance et l'égalité, on a le sentiment que c'est précisément cette discussion que refusent des gens comme Michel Onfray. Qui plus est, comme si un refus pur et simple ne lui suffisait pas, Onfray accouche d'un magnifique argument ad hominem en associant les opposants au mariage homosexuel aux discours religieux.



En effet, la chose est simple : être réfractaire au mariage homosexuel c'est être homophobe, les religions sont fondamentalement homophobes, les opposants suscités sont donc assimilables en droit au discours religieux. Cela tombe bien car chacun sait que Onfray a fait du combat contre toute forme de croyance religieuse son principal cheval de bataille. Ainsi, dire que les opposants au mariage homosexuel sont soit des croyants hargneux, soit des psychanalystes conservateurs (affirmation démentie par l'engagement de plusieurs psychanalystes en faveur du mariage homosexuel) dispense d'examiner leurs arguments puisque leur supposée appartenance à l'une ou l'autre de ces pensées les discrédite a priori. En basant son argumentation sur l'hypothèse d'une solidarité qui unirait étroitement le discours de ceux qui sont réticent à l'ouverture du mariage aux homosexuels et les discours religieux et psychanalytique, Onfray ne démontre rien d'autre que son refus de réfléchir en dehors de la nouvelle idéologie du Bien et des jugements moraux à l'emporte pièce qui lui tiennent lieu de pensée critique. Ce comportement ne serait pas si problématique s'il ne venait de quelqu'un qui se dit et qu'on dit philosophe.



S'il faut malgré tout répondre à Michel Onfray, je propose de reprendre la remarque faite par Clément Rosset, un autre philosophe. Dans l'émission de France 3 Ce soir (ou jamais !) (22/01/2013), Rosset rappelle qu'il existe une distinction extrêmement importante entre égalité et identité. Or il semble que la contradiction interne que contient le désir de certains homosexuels qui veulent se marier a tout à voir avec cette confusion. D'une part, ils veulent marquer leur différence et ils désirent qu'elle soit reconnue par la société. Mais, d'autre part, ils ne peuvent s'empêcher d'invoquer le principe d'égalité pour justifier leur envie de faire comme tout le monde. Cette situation problématique relève, d'après Rosset, de cette tendance humaine (trop humaine) à désirer une chose tout en désirant aussi son contraire. De fait, l'incohérence de ces désirs pourrait bien provenir de l'amalgame qui est fait entre égalité et identité. On a raison de vouloir la plus grande égalité possible, à tous les niveaux, entre les sexes. Désormais seuls les plus sots des imbéciles sont opposés à ça. Mais il ne faudrait pas oublier que égalité ne signifie pas identité et réciproquement. Assimiler l'un de ces deux termes à l'autre a pour effet d'embrouiller complètement la pensée.



Enfin, Rosset demande, avec la malice qui le caractérise, pourquoi ce débat surgit soudain dans la sphère publique à un moment où il semble que des sujets bien plus graves méritent l'attention. La réponse est simple : l'ennui faisant, il faut bien se distraire et parler de quelque chose qui mette en branle l'émotivité de la populace. Or, on a pas tellement envie de « se prendre la tête » ou de consacrer son attention à des thèmes jugés un peu trop abruptes comme la guerre ou la situation économique. Par conséquent, on en revient toujours aux mêmes thèmes et aux mêmes entreprises, d'ailleurs très bien décrits par Philippe Muray en son temps, à savoir : « l'interdiction de se moquer ou de caricaturer (tout le monde est respectable) ; la victimocratie ; le primat des larmes et de l'émotion, mélange radioactif de résidus de gauchisme et de puritanisme ; le terrorisme du cœur ; le chantage au moi comme authenticité, comme preuve (et finalement comme œuvre : « Il me suffit d'exhiber mes blessures et d'appeler ça de l'art. Reconnaissez mes blessures comme de l'art et taisez-vous ! ») ; le rôle épurateur des émissions comme « Apostrophes », leur longue mission de nettoyage éthique et de formation de nouvelles générations d'« auteurs » consensuels ; la confusion organisée des sexes alors qu'un bon romancier est toujours un très ferme différenciateur des sexes) ; la propagande homophile acceptée lâchement comme style de vie général (« On est tous un peu homos ») ; [etc] ».



On aurait tort de se laisser endormir l'esprit critique par des pamphlets incohérents comme celui que signe Onfray avec cet article. Sous prétexte de philosophie, ce dernier ne fait que contribuer à intensifier l'assourdissante mélodie consensuelle au sein de laquelle toute pensée dissonante est sanctionnée par l'assimilation à la psychiatrie et/ou à l'intégrisme religieux. Il n'est donc pas aisé de penser dans ces conditions. Heureusement, il reste ça et là quelques hérauts du gai savoir qui donnent envie de réfléchir et dont la pensée critique ne se limite pas à cette sorte d'« autonégativité intersubjective » mise en scène un peu partout et qui consiste à faire s'affronter deux camps dans des controverses où les plus lucides d'entre nous savent très bien que le camps qui n'entre pas d'office dans le ou bien/ou bien (« ou bien vous êtes pour le mariage homosexuel, ou bien vous êtes d'affreux homophobes ») pré-imposé est éliminé par avance.



6 commentaires:

  1. Ben mon gars. Tu fais du vrai boulot sur ton blog. Bravo.

    RépondreSupprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  3. Clément Rosset dit aussi que les hommes ont tendance à faire d'une chose deux, de masquer le réel par un double illusoire. Imaginons par exemple que les homosexuels soient traités égalitairement mais de façon différente (puisque les homosexuels ne sont pas identiques aux hétérosexuels) avec une union civile spécifique. Ne risque-t-on pas de masquer là un mariage ? De faire illusion, de faire d'une chose deux ? Manolo.

    RépondreSupprimer