lundi 28 janvier 2013

Mozart : la joie malgré tout


 


« Quel est l’objet de l’art ? Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unisson de la nature. Nos yeux, aidés de notre mémoire, découperaient dans l’espace et fixeraient dans le temps des tableaux inimitables. Notre regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. Nous entendrions chanter au fond de nos âmes, comme une musique quelquefois gaie, plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue de notre vie intérieure. (…) Mais de loin en loin, par distraction, la nature suscite des âmes plus détachées de la vie. Je ne parle pas de ce détachement voulu, raisonné, systématique, qui est œuvre de réflexion et de philosophie. Je parle d’un détachement naturel, inné à la structure du sens ou de la conscience, et qui se manifeste tout de suite par une manière virginale, en quelque sorte, de voir, d’entendre ou de penser. (…) Celui-là s’attachera aux couleurs et aux formes, et comme il aime la couleur pour la couleur, la forme pour la forme, comme il les perçoit pour elles et non pour lui, c’est la vie intérieure des choses qu’il verra transparaître à travers leurs formes et leurs couleurs. Il la fera entrer peu à peu dans notre perception d’abord déconcertée. Pour un moment au moins, il nous détachera des préjugés de forme et de couleur qui s’interposaient entre notre œil et la réalité. Et il réalisera ainsi la plus haute ambition de l’art, qui est ici de nous révéler la nature. (…) D’autres creuseront plus profondément encore. Sous ces joies et ces tristesses qui peuvent à la rigueur se traduire en paroles, ils saisiront quelque chose qui n’a plus rien de commun avec la parole, certains rythmes de vie et de respiration qui sont plus intérieurs à l’homme que ses sentiments les plus intérieurs, étant la loi vivante, variable avec chaque personne, de sa dépression et de son exaltation, de ses regrets et de ses espérances. En dégageant, en accentuant cette musique, ils l’imposeront à notre attention ; ils feront que nous nous y insérerons involontairement nous-mêmes, comme des passants qui entrent dans une danse. Et par là ils nous amèneront à ébranler aussi, tout au fond de nous, quelque chose qui attendait le moment de vibrer. — Ainsi, qu’il soit peinture, sculpture, poésie ou musique, l’art n’a d’autre objet que d’écarter les symboles pratiquement utiles, les généralités conventionnellement et socialement acceptées, enfin tout ce qui nous masque la réalité, pour nous mettre face à face avec la réalité même. »

Henri Bergson, Le rire.


« Ce que suscite en nous, du moins chez certains d'entre nous, la musique, est certes une émotion, mais une émotion toujours située dans le registre, avec un effet de plus ou de moins, d'intensité de joie ou de moindre intensité de joie ou de plaisir. Mais qui n'a rien à voir avec des spécialisations de cette joie dans des objets particuliers. Je pense aux mots de Spinoza : « L'Amour est la Joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure ». Eh bien la musique est la joie non-accompagnée de l'idée d'une cause extérieure. Ceci est amplement suffisant. En effet, quand vous êtes au paradis, pourquoi s'intéresser à autre chose ? (…) Mozart, c'est la Joie même. Il n'a jamais exprimé rien d'autre, même dans les morceaux qu'on troue très sérieux, un peu graves, etc. (…) Mozart incarne le miracle de la vie, le bonheur, la joie, la jubilation, l'allégresse. (…) Ce qui est plaisant, et même, ce qui est miraculeux dans la joie mozartienne c'est qu'elle côtoie toujours le néant et le désespoir. Elle est malgré tout et quand même mais sans le coté volontariste de la musique de Beethoven. Les œuvres de Mozart et de Beethoven représentent d'ailleurs deux univers opposés, antithétiques même. La nature de l'émotion joyeuse chez Mozart, c'est le gamin qui sifflote alors qu'il a tout perdu. Tandis que chez Beethoven, on assume de manière beaucoup plus difficultueuse me semble-t-il. »

Clément Rosset


« Chaque membre de l'orchestre est un individu et pourtant l'orchestre forme une unité. Peut-être ne peut-on comparer cela qu'au vol des oiseaux. J'ai toujours été fasciné de voir comment 300 oiseaux peuvent être dirigés par une volonté commune. De toute évidence, ils sont dépourvus de leader et pourtant leurs mouvements sont parfaitement coordonnés et exquisément beaux. »

Herbert von Karajan




A lire également :
- "Mozart, la joie, le tragique" (2006) un très bel article de 
"Musique et mélancolie" sur le blog du Lorgnon Mélancolique.

1 commentaire:

  1. Mozart m'a beaucoup aidé pour comprendre la thermodynamique quand j'étais étudiant. Une écoute qui stimule l'esprit.

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