jeudi 21 mars 2013

De l'intérêt d'être cruel

Spécimen populaire de philosphe-guérisseur

Philosophe-médecin qui s'ignore

« Je proposerais quant à moi de distinguer entre deux sortes de philosophes : l'espèce des philosophes-guérisseurs et celle des philosophes-médecins. Les premiers sont compatissants et inefficaces, les seconds efficaces et impitoyables. Les premiers n'ont rien de solide à opposer à l'angoisse humaine, mais disposent d'une gamme de faux remèdes pouvant endormir celle-ci plus ou moins longtemps, capables non de guérir l'homme mais suffisant, dirais-je, à le faire vivoter. Les seconds disposent du véritable remède et du seul vaccin (je veux dire l'administration de la vérité) ; mais celui-ci est d'une telle force que, s'il réconforte à l'occasion les natures saines, il a pour autre et principal effet de faire périr sur-le-champs les natures faibles. C'est d'ailleurs là un fait paradoxal et remarquable, quoique à ma connaissance peu remarqué, et aussi vrai de la médecine que de la philosophie : de n'être opératoire qu'à l'égard des non-malades, de ceux du moins qui disposent d'un certain fond de santé. De même que la philosophie crédible n'est entendue que par ceux qui la savaient un peu à l'avance et n'en ont ainsi pas vraiment besoin, la médecine ne peut et ne pourra jamais guérir que des bien-portants. »

Clément Rosset, Le principe de cruauté (p. 31-32)

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