mercredi 10 avril 2013

Moralisme d'État : l'arbre qui cache la forêt.




Depuis que notre ex-ministre du budget a confessé publiquement son évasion fiscale, on entend une chanson qui revient de manière cyclique depuis que la crise financière est devenue visible : « il faut moraliser la vie publique ».

Qu'entendent nos responsables politiques lorsqu'ils entonnent la jolie chanson du devoir de « moralisation » ? Tout simplement que si un individu s'est laissé séduire par l'appât du gain, c'est certainement parce qu'il manquait de principe moraux. Autrement dit, son comportement n'a rien à voir avec le cadre général de la société mais il ne dépend que de son éthique (et donc de sa responsabilité) personnelle et de la force de sa volonté (libre, bien évidemment). Par conséquent, si il s'est montré corrompu, c'est parce qu'il manquait de principes et que sa volonté était faible. Ainsi, pour empêcher que ce genre de cas se reproduise, il suffit simplement de moraliser la vie politique, c'est-à-dire de faire de belles déclarations de principes et de grands serments moraux qui n'engagent que ceux qui y croient.

En quoi est-ce que ce genre de raisonnement pose problème ? Tout simplement parce qu'il ne remet pas en questions les causes premières des comportements et se contente seulement d'une conception individualiste et de postures moralisatrices. On oublie de dire que c'est le modèle de société lui-même qui pose problème et que si des individus peuvent pratiquer l'évasion fiscale, c'est parce qu'ils ne font que profiter du capitalisme néolibéral et de ses structures. Or, plutôt que de remettre en question les structures et de réformer les institutions, nos chers acteurs politiques préfèrent en appeler à la sacro-sainte morale publique, autrement dit ils avouent qu'ils ne désirent rien changer du tout.

Cette affaire met une fois de plus en lumière un des fondements philosophiques implicites de la théorie libérale c'est-à-dire qu'il n'existerait que des individus autonomes et libres. La théorie libérale ne voit dans l'idée de « collectif » qu'une douce fiction et, par conséquent son versent politique n'a comme horizon qu'une superposition plus ou moins harmonieuse d'individus absolument libres. Une des maximes les plus représentatives de ce point de vue nous a été offerte par une dame qui vient de nous quitter : la célèbre Margaret Thatcher, qui déclarait que « La société n'existe pas ». Autrement dit, la société n'est qu'un mot mais la chose elle-même ne se rencontre pas dans le réel. Par conséquent, on ne devrait se soucier que des individus qui, eux, existent effectivement.

Or, on a de bonnes raisons de penser que ce raisonnement ne tient pas. Tout, au sein du monde social, conspire pour montrer que les individus n'existent jamais de manière isolée, comme Robinson sur son île, mais qu'ils sont toujours déjà plongés dans un monde de choses invisibles, qui parfois sont rendues visibles et dont les entités principales sont les institutions (par exemple la police, les feux rouge, la sécurité sociale, toutes choses que nous rencontrons quotidiennement) et les structures sociales. Dans ce monde chaotique, les individus sont comme emportés par des forces désirantes et passionnelles, effet de leur existence commune ainsi que du travail des structures et des institutions qui constituent leur environnement. Par conséquent, les comportements sont toujours déterminés par les structures, même si cette idée va à l'encontre de la manière dont on se rapporte spontanément à nous-mêmes (nous nous croyons en effet communément libres et souverains). Pourtant l'époque et ses structures ne cessent pas de nous façonner. Dès lors, si on veut voir changer certains comportements, il faut s'efforcer de changer les structures qui les déterminent. Ce serait cela faire de la politique finalement, et non pas en appeler aux grands principes moraux qui n'ont de puissance que celle qu'on leur prête.

Qui plus est, le discours moralisateur qui nous est servi ces derniers jours se caractérise par une propriété particulièrement avantageuse pour les acteurs du monde politique : il dévie la colère populaire. Cette colère finit donc par se dissiper, faute de trouver des points d'application. Seulement, l'énergie colérique, elle, ne disparaît pas. La multitude gronde un peu plus fort chaque fois qu'il lui est donné d'apercevoir les coulisses infâmes des hauts lieux du pouvoir. Tout esprit lucide sait qu'un jour ou l'autre, les appels à la morale ne suffiront plus à calmer la fureur qui parcours la multitude et alors elle éclatera, et ce ne sera pas très beau à voir. 

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