De gauche à droite : cas de bêtise du premier degré, puis cas de bêtise du second degré |
« De manière
générale, la bêtise peut être considérée de deux points de vue
: celui de son contenu, et celui de sa forme. La question du contenu
de la bêtise pose un problème de recensement apparemment insoluble,
qui est d'ailleurs étranger à la problématique de l'unique et de
son double. On peut donc se contenter ici de décrire sommairement le
contenu de la bêtise comme toute manifestation d'attachement
à des thèmes dérisoires, ceux-ci inépuisables en nombre comme en
variété. Mais, à contenu identique, la bêtise peut revêtir deux
formes assez différentes, selon que l'adhésion au thème dérisoire
est immédiate et spontanée, ou au contraire n'intervient que de
manière différée ou réfléchie. Dans le premier cas, le thème
est admis d'emblée, par hérédité ou environnement culturels, sans
que soit posé le problème général de la bêtise, c'est-à-dire la
question de savoir si le thème est intelligent ou non : bêtise
du premier degré, irréfléchie
et spontanée. Dans le second cas, le thème n'est admis qu'après
mûre réflexion, c'est-à-dire qu'ici le problème de la bêtise a
été envisagé soigneusement, et apparemment résolu – du moins du
point de vue de l'intéressé – puisque le thème retenu n'a été
sélectionné qu'à l'issue d'un examen critique des plus sévères,
en sorte que le thème auquel on s'attache paraît définitivement à
l'abri de la critique : bêtise du second degré,
intériorisée et réflexive. Dans cette seconde forme de bêtise, on
a pris conscience du problème de la bêtise ; on sait qu'il faut
éviter d'être bête, et, à la lumière de ce scrupule, on a choisi
une attitude « intelligente ». Naturellement, cette
attitude n'est autre que la bêtise en personne, dont on pourrait
dire, en paraphrasant Hegel, qu'elle est la « bêtise devenue
consciente d'elle-même » : mais non point dans le sens où
elle serait consciente d'être bête, consciente au contraire d'être
intelligente, de constituer un relief de lucidité sur le fond de
bêtise jadis menaçante, dont elle s'estime désormais
définitivement affranchie.
Cette
bêtise du second degré, apanage des personnes généralement
considérées – à juste titre d'ailleurs – comme intelligentes
et cultivées, est évidemment incurable : en quoi elle constitue une
forme de bêtise absolue, à la différence de la bêtise du premier
degré. On peut toujours espérer que cette dernière, immédiate et
spontanée, est virtuellement intelligente : on peut l'imaginer
détrompée un jour, à l'occasion d'une plus ou moins hypothétique
prise de conscience. Cet espoir est vain dans le cas de la deuxième
forme de bêtise : puisque la prise de conscience y a déjà
eu lieu. L'imbécillité
confirmée se trouve ainsi dans l'impasse voisine de celle de
l'illusion : incurable de trop bien raisonner, comme Boubouroche est
incurable de trop bien voir, dans la pièce de Courteline. »
Clément
Rosset, Le réel et son double.
(L'idée de cette note m'est venue alors que je contemplais Jean-Michel Ribes qui ouvrait grand les vannes de sa bêtise et laissait couler librement le flot de son imbécilité dans l'émission Ce soir (ou jamais !) le 3 mai 2013)
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